Assemblée Nationale – Séance du 31 mars 1998
Présidence de M. Laurent Fabius
Questions au Gouvernement
M. le président. La parole est à M. Christian Cuvilliez.
M. Christian Cuvilliez. Monsieur le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, lorsque je vous ai interrogé, le 25 février dernier, sur l’Accord multilatéral sur l’investissement, vous m’avez assuré que le Gouvernement n’avait nullement l’intention de s’engager dans un accord international qui limiterait son pouvoir, ou celui du Parlement, de définir nos règles sociales, fiscales et environnementales ou qui, d’une quelconque manière, permettrait à une entreprise étrangère de contester, au nom de cet accord, notre propre législation. Le non-respect de quatre conditions que vous aviez fixées faisait obstacle à cet accord : premièrement, le non-respect de l’exception culturelle ; deuxièmement, la légitimation des législations extra-territoriales ; troisièmement, la pression d’une entreprise sur la législation d’un Etat en matière sociale, fiscale ou environnementale et, enfin, le non-respect de la règle de la préférence communautaire.
Or, alors que les négociations sur ce sujet ne sont pas encore achevées, M. Leon Brittan, vice-président de la Commission européenne chargé de la politique commerciale, a proposé aux Américains, de sa propre initiative et sans en informer les pays membres,...
M. Bernard Accoyer. C’est scandaleux !
M. Christian Cuvilliez. ... de bâtir d’ici à la fin de 1999 une vaste zone de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Europe, dans un accord bilatéral dénommé New Transatlantic Market. Cette proposition comporte, à des degrés divers, les mêmes risques que l’AMI, pour tous les secteurs de notre économie, notre système de protection sociale et nos institutions. Le groupe communiste considère que cette proposition d’accord bilatéral, qui ne tient aucunement compte de l’opinion majoritaire dans notre pays, ni de celle du Parlement européen, doit être refusée. Et il conteste le fait que Bruxelles persiste et signe dans sa volonté d’aboutir à une dérégulation complète des échanges entre l’Union européenne et les Etats-Unis.
Nous sommes, comme M. le Premier ministre lui-même l’a indiqué, catégoriquement opposés au projet proposé sans concertation préalable. Nous demandons donc au Gouvernement de réaffirmer officiellement cette position à la prochaine réunion du Conseil des ministres des Quinze. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
Monsieur le député, vous rappelez opportunément la discussion que nous avons eue à propos de l’Accord multilatéral sur l’investissement. Le nouveau projet de traité que vous évoquez s’en rapproche.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, notre réflexion est la même.
Comment pourrions-nous imaginer d’engager une discussion sur le commerce entre l’Europe et les Etats-Unis qui mettrait en cause les acquis sur l’indépendance de notre politique culturelle ?
Comment pourrions-nous imaginer d’entamer une négociation qui mettrait en cause nos acquis en matière de politique agricole ? Certes le commissaire Leon Brittan affirme que ces deux sujets pourraient être exclus de la négociation. Mais, très honnêtement, je ne pense pas qu’il soit possible d’imaginer que les Américains veuillent engager une grande négociation avec l’Europe en laissant de côté deux sujets aussi importants.
Par ailleurs, on le sait, un des objectifs avoués de la négociation serait justement de permettre à chaque pays
d’intervenir sur les règles qui organisent la vie des entreprises dans l’autre partie du monde pour voir si elles lui conviennent ou non. Nous ne voulons en aucune manière que nos amis américains viennent mettre leur nez dans la façon dont nous organisons l’Europe à quinze.
M. Alain Barrau. Très bien !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Dans ces conditions, ce qui valait pour l’Accord multilatéral sur l’investissement vaut pour le nouveau traité. Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas des sujets à discuter positivement avec les Etats-Unis, mais ils débordent largement le cadre commercial.
Notre opposition au projet de nouveau traité est plus large. En effet, il consisterait à organiser une discussion entre deux groupes de pays riches en laissant de côté tous les autres pays du monde. Or, la France est favorable à une négociation multilatérale sur l’Organisation mondiale du commerce qui prenne en compte les intérêts de tous les Etats et en particuliers ceux des pays en développement.
Donc, tant pour des raisons qui tiennent très directement au contenu probable des discussions que parce que, sur le principe, nous sommes pour une discussion multilatérale sur l’Organisation mondiale du commerce, comme elle doit commencer à partir du 1er janvier 2000, mon collègue Hubert Védrine et moi-même avons écrit, à la demande du Premier ministre, à la Commission que nous nous opposerions à la mise en place d’une négociation sur ce sujet. Comme elle doit requérir l’assentiment de tous les Etats membres, il n’y a pas véritablement de débat à ouvrir, à moins qu’il nous soit proposé un mandat de négociation qui nous convienne parfaitement, ce qui est très improbable car il limiterait la négociation à des domaines tellement étroits qu’il ne vaudrait pas la peine de lancer une négociation transatlantique à ce sujet.
L’affirmation de notre hostilité à ce processus est la même que celle que celle que j’exprimais à l’égard de l’Accord multilatéral sur l’investissement. Vous n’avez donc pas, monsieur le député, à vous inquiéter de ce point de vue. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du Groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Source :
http://archives.assemblee-nationale.fr/11/cri/1997-1998-ordinaire1/177.pdf
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