Juan Hernández Zubizarreta
Professeur de Droit à l’Université du Pays Basque et membre du réseau altermondialiste Enlazando Alternativas
Par Benito Perez, pour lecourrier.ch
En avant-goût de la conférence de Susan George lundi à Genève, le professeur Juan Hernández Zubizarreta analyse le pouvoir des entreprises transnationales et les pistes de résistance.
On dit qu’elles dominent le monde, que les plus grandes pèsent davantage que nos Etats. Facteur de développement global ou prédatrices sans foi ni loi, les sociétés transnationales (STN) sont pourtant une invention récente – née de la dérégulation – et encore peu étudiées. Juan Hernández Zubizarreta, professeur de droit à l’Université du Pays Basque et membre du réseau altermondialiste Enlazando Alternativas, en a fait son objet d’étude et de militance. Pour Le Courrier, il passe au crible cet acteur symbole d’une globalisation qui marche sur la tête.
Vous êtes professeur de droit. Qu’est-ce qui définit, selon vous, une société transnationale (STN) ?
Juan Hernández Zubizarreta : Dans les faits, c’est une grande société dont le siège juridique, la matrice, se situe dans un pays dit développé et exerce, depuis là, un pouvoir dans d’autres Etats, que j’appelle récepteurs, ou périphériques, à travers diverses formes juridiques (filiales, sous-contractants, etc.). Leurs pratiques et relations autour de cette chaîne juridique varient selon les secteurs, les entreprises pétrolières ne sont pas organisées comme les banques ou le textile, etc.
Leur point commun est l’utilisation de toutes les sortes de stratégies et de techniques que leur offre la globalisation pour se soustraire à leurs responsabilités. La mondialisation a rompu l’unité de l’espace et du temps, créant un environnement où les transnationales se meuvent comme des poissons dans l’eau. Avec leurs structures tentaculaires, elles multiplient les stratagèmes pour optimiser leurs flux et leurs intérêts. Dérégulée, la finance favorise ces va-et-vient opaques.
Or, malgré cette réalité transnationale, ces entreprises continuent à être adossées à des unités juridiques nationales. Cet appareil légal est manifestement dépassé, c’est pourquoi, avec d’autres, je milite pour l’extraterritorialité.
Concrètement, faudrait-il encadrer juridiquement ces entreprises au niveau international ou dans leur pays d’origine, comme le propose la campagne suisse des ONG Droits sans frontières ?
Vu l’impunité totale dont elles jouissent, je crois que toutes les pistes sont à explorer! Au sein d’Enlazando Alternativas, nous travaillons à un Traité international sur les STN, qui instituerait un tribunal des droits économiques. On en est loin, car les Nations unies, qui devrait être la structure protectrice des droits des populations va dans une tout autre direction. L’ONU a aussi été colonisée par les STN. Ses propositions – le Global Compact et les Principes directeurs de John Ruggie – ont le même défaut : ils relèvent du domaine de la Responsabilité sociale des entreprises (RSE), qui se base sur le volontariat et l’autocontrôle.
(...)
Que pensez-vous des clauses sociales que l’UE fait inclure dans ses traités de libre-échange ?
C’est de la rhétorique. Ces traités n’incluent jamais de mécanisme rendant ces droits environnementaux et sociaux réellement applicables, effectifs, au contraire des normes de protection des brevets, des investissements et autres droits commerciaux juridiquement encadrés. L’idée d’une politique plus sociale de l’UE dans ce domaine est un mythe, ses traités sont durement négociés. Et dans une opacité totale! Finalement, en reconnaissant dans son droit l’extraterritorialité de leurs firmes, les Etats-Unis sont plus avancés que l’Europe.
Que vous inspire le Traité atlantique en négociation entre les USA et l’Europe ?
Des craintes, forcément. Imaginez : on a eu vent de quatorze réunions entre les lobbies patronaux et les négociateurs, sans que les élus n’aient été inclus, pas plus que les syndicats et les mouvements sociaux !
On peut supposer que les Etats-Unis vont tenter d’affaiblir les normes sanitaires et environnementales pour mieux pénétrer le marché européen. Une intention affichée par les Européens m’amuse: «l’amélioration du système arbitral». C’est, en creux, l’aveu que celui qu’ils imposent aux pays du Sud est unilatéral et qu’ils craignent de subir cette même domination de la part des Etats-Unis.
En tant que juriste, je constate que ces tribunaux, en statuant uniquement sur les dimensions commerciales, violent de fait le droit international, puisqu’au cœur de cette législation se trouvent les droits humains. En droit, le reste des dispositions relatives aux transactions commerciales doit être subordonné à la déclaration des droits humains et aux pactes onusiens.
Juridiquement, on a la tête à l’envers. On continue de penser que les droits fondamentaux, notamment sociaux, sont facultatifs, qu’ils seront concrétisés quand l’argent coulera enfin à flot ... C’est du droit déclaratif.
(c) Benito Perez / lecourrier.ch
Article complet ainsi que les notes de la rédaction, à lire sur ce lien :
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